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n. 2 / gennaio 2013

Le Voyage Hippie et sa postérité

 

Frédéric Monneyron
Professeur de Littérature générale et comparée, Université de Perpignan
Professeur de Sociologie de la mode, Mod'Art International, Paris

 

C’est assez logiquement, que le voyage à l’intérieur de soi-même des hippies, le trip, que permet le LSD, s’accompagne d’un voyage géographique qui est aussi un voyage initiatique, belle approximation au demeurant de ce trajet anthropologique, “ c’est-à-dire l’incessant échange qui existe au niveau de l’imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations objectives émanant du milieu cosmique et social ”, dont parle Gilbert Durand (1).
Ce voyage hippie s’inscrit dans la continuité du voyage beatnik, On the Road devenant un livre-culte, et sera emblématisé par le célèbre film Easy Rider. Mais, alors que le voyage beatnik était majoritairement circonscrit sur le territoire américain, avec une extension éventuelle au Mexique, le voyage hippie, s’il s’exerce encore volontiers sur le continent nord-américain comme celui des Merry Pranksters et sur les chemins mexicains des drogues, se donne aussi de nouveaux horizons. Le voyage en Orient (Afghanistan et Inde, plus marginalement Maroc) devient un rite initiatique de première importance. Ce faisant, il retrouve un sens qui renvoie au xixe siècle et aux romantiques, également adeptes de voyages et de psychotropes, et de voyages sous psychotropes, pour lesquels le voyage en Orient est un rite obligé, un “ passage ” obligatoire de l’expérience sensible, un parcours jusqu’au centre de soi-même où il s’agit de découvrir sa “ part orientale ” et la clé perdue d’une compréhension de la culture occidentale. Le voyage est alors la métaphore d’un parcours initiatique, schème commun à nombre de traditions, qui suppose l’idée de paradis et de quête, et décrit une forme de cheminement, une succession de passages ritualisés d’un état à l’autre.
D’une manière plus générale, le voyage hippie retrouve, pour le moins, une aspiration qui remonte donc au romantisme et resurgit au début du xxe siècle. À l’appel de l’Inde avaient alors répondu des individus isolés aussi différents qu’Aleister Crowley, Alexandra David-Neel, Georges I. Gurdjieff, Hermann Hesse ou Hermann von Keyserling, avant que, sous l’impulsion de leaders tels que Allen Ginsberg ou Timothy Leary, ou avec pour modèle le voyage des “ Beatles ” au Cachemire, ce ne soit toute une frange de la jeunesse occidentale qui, dans les années 60 et 70, prenne la “ route des Indes ”, en stop ou en bus. Ils vont y chercher, certes, les paradis artificiels de la drogue qu’ils estiment partie intégrante de la culture orientale, mais aussi la spiritualité que ces paradis permettent et qu’il importe à l’Occident d’intégrer pour équilibrer son matérialisme. Les vêtements rapportés d’Orient deviennent rapidement des pièces indispensables d’une mode hippie. Celle-ci, reprise par certains couturiers, s’impose bien vite comme une mode à part entière. Ce serait une erreur de voir là qu’un effet superficiel et non l’expression d’un choc en profondeur, car pour rentrer dans les croyances et les mœurs d’un peuple ou d’une civilisation à laquelle on emprunte déjà les usages de consommation de kif ou de haschisch, il convient sans doute de rentrer tout d’abord dans ses vêtements (2).

Le voyage hippie des années 60 et 70 apparaît aujourd’hui comme le précurseur de bien des formes du tourisme moderne. Contemporain de l’avènement du tourisme de masse suscité par le développement des transports internationaux, il l’a certes dénoncé avec force, retrouvant l’opposition qui, depuis le xixe siècle déjà, traverse le champ du voyage occidental entre voyageur et touriste (3). Il a, par suite, repoussé tout ce qui pouvait le rappeler, du grégarisme propre à la définition du touriste, à ses accessoires les plus visibles, comme ces appendices indispensables que sont l’appareil photographique ou le guide touristique, en passant par ses modes d’alimentation, de déplacement et de socialité. Il n’en a pas moins fourni un moule aux voyages actuels, Certes, il ne s’agit plus de la même façon de voyager et toute dimension initiatique a disparu, mais les destinations sont restées les mêmes. L’Inde est une mesure presque idéale de cette dérivation.
Sans doute l’Inde accueille-t-elle encore aujourd’hui des toxicomanes du monde entier. Mais “ pour le hippie, l’usage de cannabis et des hallucinogènes reste un moyen conscient et maîtrisé […] la drogue n’est pas indispensable, elle est pour certains un moyen de connaissance psychédélique unique, pour d’autres le moyen d’abolir l’agressivité innée considérée comme une entrave à une civilisation harmonieuse” (4). Il en va tout autrement pour le toxicomane actuel pour lequel l’Inde n’est rien d’autre que le cadre exotique dans lequel s’exerce sa dépendance, l’Inde devenant elle-même une drogue. “L’Inde est toxicogène, remarque Régis Airault, elle agit comme une véritable drogue, entraînant dépendance psychique et physique. ´Lui aimait l’Inde, elle l’avait intoxiqué`, lit-on dans Parias de Pascal Bruckner… Il existe en effet de nombreuses analogies entre le produit Inde et le produit toxique” (5).
Dans les sociétés modernes, les rites de passage qui marquaient autrefois les âges de la vie se sont brouillés à tel point qu’ils semblent avoir disparu. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte, notamment, n’étant plus assuré collectivement, il est nécessaire que les jeunes trouvent une façon, une forme de reconnaissance, et “se donnent ce droit de passage à eux-mêmes”, par des rites réinventés collectivement. Depuis les années 60, il en est ainsi dans la jeunesse occidentale. C’est ce qui permet sans doute d’expliquer les conduites à risque, les diverses initiations, et les voyages erratiques contemporains. Toutes ces pratiques signifient la nécessité d’une rupture avec la famille, avec le système social, pour faire reconnaître la nécessité d’une place ou d’un statut social spécifique. Or, le voyage en Orient, ou l’espace mystique privilégié de l’Inde, “la route” héritée des années 60, sont devenus des sortes d’espaces hors du temps de la modernité, un “espace transitionnel, une aire intermédiaire où l’aire de jeu du petit enfant peut à nouveau s’exprimer” (6), et où l’adolescent pourra s’initier, apprivoiser sa personnalité naissante.

Si le vagabondage indien d’un nombre important de jeunes Occidentaux peut maintenant apparaître comme la version désacralisée du voyage initiatique des années 60, c’est un voyage plus organisé qui en est aussi l’héritier. Le tourisme de masse se dirige désormais vers les lieux du pèlerinage hippie. L’Inde est, en effet, une destination touristique en constante augmentation. En trente ans, le nombre de touristes en Inde s’est considérablement accru : si, dans les années 70, il s’agissait de dix mille personnes (jeunes pour la plupart), leur chiffre monte à quatre cent mille en 1984, et à plus de deux millions en 1999. Dans le tourisme de masse qui, avec ses charters et ses séjours planifiés, déferle sur l’Inde, c’est toute une philosophie du voyage qui s’est inversée. Etre sur la route pour les hippies, c’était subordonner le but au voyage lui-même ; la destination comptait moins que le déplacement ; c’était le trajet en bus ou en stop depuis l’Europe, et en Inde dans des trains surchargés, qui constituait l’essentiel de l’épreuve initiatique. Or, dans ce tourisme de masse qui a fait de l’Inde une de ses destinations privilégiées, il en va désormais tout autrement.
Dorénavant, avec l’avion (7), “on parvient au but sans avoir fait l’expérience du voyage” (8), la distance est annulée et, avec cette annulation, le temps nécessaire à l’expérience intérieure se trouve aboli. Dans un voyage où l’on ne reste guère plus d’une semaine sur le lieu de destination, parfois sans avoir côtoyé le moindre indigène, c’est aussi l’espace qui se trouve, sinon complètement anéanti, du moins singulièrement réduit. Plutôt que de se révéler au terme d’une expérience proprement mystique, l’Inde se livre certes immédiatement mais étroitement, superficiellement, désormais destination comme une autre. Une telle banalisation du monde, au demeurant, est le grand le reproche que le voyageur, hippie ou non, a coutume de faire, depuis Victor Segalen au moins, au touriste.
La presqu’île de Goa est plus particulièrement illustratrice de ce dédoublement du voyage : vagabondage toxicomane et tourisme de masse. Située à six cents kilomètres au sud de Bombay, elle est restée la base d’une colonie d’Occidentaux, que les Indiens continuent d’appeler “hippies” depuis les années 60, où se tiennent de nombreuses fêtes techno et la transe Goa (9). Certes, la presqu’île ressemble toujours au paradis, avec ses plages de sable fin bordées de cocotiers. Mais, après le passage de ces “routards”, elle est devenue une des destinations obligées du tourisme de masse, les charters y déversant des flots de voyageurs qui n’y restent qu’une semaine.

Elargi à d’autres destinations, c’est à nouveau à un double héritage du voyage hippie que le tourisme moderne est redevable. Ce qu’ont établi les hippies, c’est en effet et presque paradoxalement, à la fois, le voyage bon marché et quelques destinations de luxe.
Les hippies ouvraient par leurs pérégrinations sur les routes du monde des horizons nouveaux à une frange importante d’une jeunesse occidentale encore largement sédentaire. Mais, de plus, leur mode de voyage par stop, par bus ou par train, dans des pays où le coût de la vie était souvent infiniment moindre qu’en Europe ou aux États-Unis, rendait les voyages lointains soudain accessibles, et aussi plus excitants, à une population bien plus large que l’élite fortunée à laquelle ils étaient censés être réservés jusqu’alors. Aussi, dans le sillage des hippies, et profitant du rapide développement des transports aériens, des agences de voyage ont eu tôt fait de proposer, pour leurs jeunes clients, souvent étudiants ou cadres, réticents malgré tout à voyager par terre ou limités par le temps, des vols à prix relativement modestes. Ce fut d’abord le développement des charters, puis des vols et séjours combinés, jusqu’à ce que se développent plus récemment les compagnies aériennes low cost, dernières héritières, par air donc et non plus par terre, du voyage low cost des hippies. Bien des voyagistes ou des compagnies aériennes aujourd’hui fort connus sont nés à cette époque du voyage hippie, soit directement comme “Nouvelles Frontières” en France, soit indirectement comme “Virgin” en Angleterre, tout d’abord disquaire discount avant que son directeur, Richard Branson, n’élargisse ses activités et ne crée une flotte aérienne.
Les hippies avaient leurs destinations privilégiées, qui conjuguaient souvent paradis artificiels et valeurs spirituelles : l’Inde, bien entendu, mais aussi le Mexique ou encore le Maroc, puis, dans les années 70, la Thaïlande. Mais à l’intérieur de ces pays, des villes ou des lieux avaient plus encore leur préférence comme Goa, Marrakech ou encore l’île de Phuket. Aux États-Unis ou en Europe, leurs pas les entraînaient vers des sites dont la beauté naturelle était synonyme de good vibrations, comme Carmel, alors village de pêcheurs sur la côte californienne, à quelque vingt kilomètres de Monterey, Laguna Beach au sud de l’agglomération de Los Angeles où résida un temps Timothy Leary, et Ibiza, une des îles des Baléares, rendue célèbre, nous l’avons dit, par le film de Barbet Schroeder, More.

Toutes ces destinations, qui n’échappent pas, certes, au tourisme de masse, sont aussi devenues aujourd’hui des destinations de luxe, l’élection géographique hippie se transformant en élitisme financier. À Goa, Marrakech ou Phuket se côtoient, en effet, hôtels relativement bon marché, sélectionnés par les tours occidentaux pour des touristes sans cesse plus nombreux, et hôtels de luxe proposant à une clientèle plus ciblée un conjugué de confort et d’exotisme. Un hôtel comme la “Mamounia”, à Marrakech, fréquenté dans les années 60 et 70 par quelques leaders musicaux du mouvement, apparaît comme exemplaire de cet itinéraire. Carmel et Laguna Beach, sur la côte californienne, sont devenus pour leur part des cités où la concentration de millionnaires et de résidences luxueuses est parmi les plus hautes des États-Unis, tandis qu’Ibiza, destination estivale privilégiée de toute l’Europe “branchée” est, en outre, un haut lieu de la jet set internationale. Mais, sans doute cette évolution était-elle inscrite dès le début dans une philosophie hippie qui, si elle prônait une relative pauvreté et le détachement des objets de consommation courante, rejoignait les définitions du luxe sur bien d’autres points : luxe de l’oisiveté, luxe de la volupté, luxe du voyage…

1) G. Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1984, p. 38.

2) Cf. à ce sujet, F. Monneyron, La Frivolité essentielle. Du vêtement et de la mode, Paris, PUF, 2001, p. 61.

3) Cf. J.-D. Urbain, L’Idiot du voyage. Histoires de touristes, Paris, Payot, 1993.

4) H. Loo, « Toxicomanies actuelles » in Toxicomanies, 1983, cité par R. Airault, Les Fous de l’Inde, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2002

5) R. Airault, Les Fous de l’Inde, op. cit., p. 201.

6) Ibid., p. 163.

7) Quand bien même celui qui souhaiterait aller en Inde aurait quelque velléité à s’y rendre par la route ou le rail, depuis la fin des années 70, les circonstances politiques, la révolution islamique en Iran et les guerres d’Afghanistan, ont rendu son projet pratiquement irréalisable…

8) D. J. Boorstin, « Du voyageur au touriste » in L’Image ou ce qu’il advint du rêve américain, Paris, Julliard, 1963, cité par J.-D. Urbain, L’Idiot du voyage, p. 172.

9) R. Airault, op. cit., p. 139.

 

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